prétendue objectivité des romans qui se veulent réalistes.
La pourriture des nantisCélestine, vue par Octave Mirbeau.
Mirbeau donne la parole à une soubrette, Célestine, ce qui est
déjà subversif en soi, et, à travers son regard qui perçoit le
monde par le trou de la serrure, il nous fait découvrir les
nauséabonds dessous du « beau monde », les « bosses
morales » des classes dominantes et les turpitudes de la
société bourgeoise qu’il pourfend. Échouée dans un
bourg normand, chez les Lanlaire, au patronyme grotesque, qui
doivent leur richesse injustifiable aux filouteries de leurs
« honorables » parents respectifs, Célestine évoque, au fil de
ses souvenirs, toutes les places qu’elle a faites depuis des
années, dans les maisons les plus huppées, et en tire une
conclusion que le lecteur est invité à faire sienne :
« Si infâmes que soient les canailles, ils ne le sont jamais autant que les honnêtes gens. »
L’enfer socialCélestine vue par Josef Rippl-Ronaï,
La Revue blanche, 15 janvier 1900.
Le récit, éminemment démythificateur, constitue une
manière d’exploration pédagogique de l’enfer social, où
règne la loi du plus fort, à peine camouflée par les
grimaces des nantis. Forme moderne de l’esclavage, la
condition des domestiques et « gens de maison », comme
on disait, est dénoncée par la chambrière, que le romancier
dote d’une lucidité impitoyable :
« On prétend qu’il n’y a plus d’esclavage… Ah ! voilà une bonne blague, par exemple… Et les domestiques, que sont-ils donc, sinon des esclaves ?… Esclaves de fait, avec tout ce que l’esclavage comporte de vileté morale, d'inévitable corruption, de révolte engendreuse de haines. »
Le domestique est un être « disparate », « un monstrueux hybride humain », qui
« n’est plus du peuple, d’où il sort », sans être pour autant « de la bourgeoisie où il
vit et où il tend. » Si tous les serfs des temps modernes sont condamnés à l’instabilité, à la
surexploitation et à de perpétuelles humiliations, les femmes de chambre sont de surcroît
traitées comme des prostituées, ce qui est souvent le premier pas vers ce milieu.
Mais Mirbeau ne nourrit pour autant aucune illusion sur les capacités de révolte de
la gent domestique, qui est aliénée idéologiquement et presque toujours
corrompue par ses maîtres : après avoir refusé la place de servante-maîtresse que
lui propose le grotesque capitaine Mauger, Célestine, malgré sa lucidité et son
dégoût, finit par devenir maîtresse à son tour et par houspiller ses bonnes, dans
« le petit café » de Cherbourg où elle a suivi le jardinier-cocher Joseph, antisémite et
sadique, enrichi par le vol audacieux de l’argenterie des Lanlaire, et dont elle s’est
persuadée qu’il a violé et assassiné une petite fille…
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Octave Mirbeau Le Journal d'une femme de chambre Chap01
Octave Mirbeau Le Journal d'une femme de chambre Chap02
Octave Mirbeau Le Journal d'une femme de chambre Chap03
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Octave Mirbeau Le Journal d'une femme de chambre Chap17
Octave Mirbeau, né le
16 février 1848 à
Trévières (
Calvados) et
journaliste français. Il connut une célébrité européenne et de grands succès populaires, tout en étant également apprécié et reconnu par les
avant-gardes littéraires et artistiques1.
Journaliste influent et fort bien rémunéré, critique d’art défenseur des avant-gardes,
pamphlétaire redouté, Octave Mirbeau était aussi un
romancier novateur, qui a contribué à l'évolution du genre romanesque, et un
dramaturge, à la fois classique et moderne, qui a triomphé sur toutes les grandes scènes du monde. Mais, après sa mort, il traverse pendant un demi-siècle une période de purgatoire. Il est visiblement trop dérangeant pour la classe dirigeante, tant sur le plan littéraire et esthétique que sur le plan politique et social.
Inclassable sur un plan littéraire, il fait fi des étiquettes, des théories et des écoles, et il étend à tous les genres littéraires sa contestation radicale des institutions culturelles. Il est aussi politiquement incorrect, farouchement individualiste et
libertaire. Il incarne ainsi une figure d'intellectuel critique, potentiellement subversif et « irrécupérable » selon l'expression utilisée par
Jean-Paul Sartre dans sa
pièce de théâtre Les Mains sales (1948).
Guy de Maupassant lui a dédie sa nouvelle
Aux champs (1882).